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Hiver 2011

Regards croisés sur la douleur

Des chercheurs de plusieurs disciplines étudient la douleur, une sensation à géométrie variable, tantôt vitale, tantôt carrément néfaste.

«Endure ton mal, ça va t’endurcir!» Tous les garçons ont entendu cette phrase un jour ou l’autre. Ceux qui considèrent macho (ou maso!) cette attitude seront sans doute heureux de recevoir la bénédiction du neuro­physiologiste Yves De Koninck, du Centre de recherche Université Laval Robert-Giffard.
 
«C’est complètement faux de croire que le corps peut ainsi s’endurcir, s’exclame celui qui est également directeur du Réseau québécois de recherche sur la douleur. C’est même le contraire. Nous savons maintenant que le fait de ne pas intervenir pour soulager une douleur augmente la probabilité qu’une personne souffre un jour de douleur chronique.»

Il ne s’agit pourtant pas de se gaver d’analgésiques. Aussi désagréable soit-elle, la douleur peut être utile. Pas cette douleur récurrente, qu’on dit chronique. Plutôt celle, plus ou moins intense, ressentie au contact d’une source de chaleur ou à la suite d’une intervention chirurgicale. Celle-là, il faut l’écouter avant de la bâillonner.

Un signal d’alarme
«La douleur est un signal d’alarme qui attire notre attention», précise Jean-Paul Goulet, professeur à la Faculté de médecine dentaire et spécialiste des douleurs orofaciales récurrentes associées aux dents ainsi qu’aux articulations et aux muscles du visage. «Dans le contexte médical, la douleur dite utile est celle qui nous prévient qu’un dommage tissulaire risque de se produire ou est déjà amorcé.»

Yves De Koninck convient que la douleur est absolument nécessaire à notre survie. «Elle vous oblige à protéger votre corps», précise-t-il. C’est vrai du réflexe qui écarte notre main du feu. Et c’est tout aussi vrai de la douleur qui persiste après une blessure: nous avons alors une hypersensibilité de la région affectée. Par la douleur, le cerveau nous dit de faire attention, de protéger nos tissus pour qu’ils guérissent.

«Cette hypersensibilité est typique de la douleur, le système est construit pour cela», remarque M. De Koninck. Cette stimulation doit cependant atteindre une certaine intensité pour activer les fibres nerveuses sensorielles, qui captent la menace et transmettent le signal de douleur. Par exemple, pour une personne normale, les capteurs de la peau envoient un tel signal uniquement si la température est de 45ºC ou plus.

Malgré cette spécificité, la douleur présente une géométrie variable. «La douleur est une expérience subjective et personnelle qui varie donc d’un individu à l’autre», rappelle Jean-Paul Goulet. Dans un cabinet de dentiste ou à l’hôpital, on peut reconnaître la souffrance de l’autre, mais il est difficile, voire impossible, de lui donner une valeur chiffrée. Il n’y a pas d’échelle de Richter de la douleur. «Seule la personne qui souffre peut définir et évaluer sa douleur, insiste M. Goulet, mais le professionnel de la santé ne peut pas s’en tenir à ce seul aspect compte tenu de la complexité du phénomène. Cette évaluation et son expression dépendent de l’expérience et même de la culture de chaque personne.»

La douleur des autres
De nombreuses études démontrent que les professionnels de la santé ont tendance à sous-estimer la douleur des patients. «Ils se construisent progressivement une carapace qui demeure essentielle à une intervention rapide et efficace», explique Philip Jackson, professeur à l’École de psychologie, qui cherche à savoir comment cette attitude se traduit dans le cerveau.

Philip Jackson ne s’intéresse pas directement à la douleur. «Pour moi, explique-t-il, la douleur est une façon de provoquer des réactions dans le cerveau de sujets.» Le neuropsychologue ne torture personne pour arriver à ses fins! Il projette plutôt des images qui simulent des scènes douloureuses, comme se coincer les doigts dans une porte, ou qui montrent une personne en souffrance, par exemple un nourrisson en pleurs qu’on intube.

La phrase précédente vous cause un malaise? Normal! En la lisant, au moins trois régions de votre cerveau se sont activées. Ces régions, ont démontré les travaux de Philip Jackson et ceux d’autres chercheurs, font partie des mêmes centres cérébraux qui traitent les signaux de la douleur.

«Il ne s’agit pas nécessairement d’empathie», prévient le chercheur, qui estime que cette réaction est liée à la survie. La douleur d’autrui pourrait plutôt inciter l’observateur à fuir, par instinct de protection. Avec l’évolution et la socialisation, l’être humain a appris à prendre du recul à la vue de la douleur de l’autre et à contrôler ses émotions afin de pouvoir l’aider; il a appris à se mettre à sa place. L’ensemble de ces attitudes conduit l’humain à l’empathie.

Malade d’avoir mal
L’utilité de la douleur ayant une cause précise (lésion ou pathologie) ne fait aucun doute. Par contre, la douleur chronique inexplicable, qui dure des mois sinon des années, est une indésirable qui mobilise des scientifiques dans le monde entier.

«Vous n’avez rien! Cessez de vous plaindre!», entendent souvent les personnes atteintes de ce mal pernicieux qui sape le moral. La stigmatisation sociale n’est pas loin. «Il y a beaucoup de préjugés à l’égard de ceux qui se plaignent de douleurs chroniques», déplore Yves De Koninck.

Ces préjugés volent en éclats dans les laboratoires d’ici et d’ailleurs. «Nos travaux montrent que la douleur chronique est une pathologie en soi, assure Yves De Koninck. C’est un mauvais fonctionnement du cerveau au même titre que l’épilepsie. Il y a d’ailleurs énormément de liens entre ces deux maladies.»

Les événements qui conduisent à cette pathologie ne sont pas encore bien définis, mais il semble que le système nerveux se modifie au fil du temps lorsqu’il est soumis à un épisode important de douleurs. Les scientifiques parlent de «plasticité» du système nerveux.

Le cerveau reçoit alors des signaux qui, normalement, ne devraient pas être associés à la douleur. Ces signaux sont pourtant interprétés comme tels parce que les cellules qui les acheminent sont les mêmes qui transmettent habituellement la douleur. Tout se passe comme si le système de perception de la douleur était demeuré actif, le flux nerveux poursuivant sa course même une fois la lésion ou la pathologie guéries.

Prendre le pouls de la douleur
La douleur chronique touchera environ une personne sur cinq à un moment ou l’autre de sa vie. Chez les personnes âgées, sa prévalence est de 50%! Il n’est donc pas surprenant de constater qu’elle préoccupe les professionnels de la santé, et en particulier ceux qui interviennent auprès des aînés.

Médecin et titulaire de la Chaire de gériatrie de l’Université Laval, René Verreault s’intéresse à l’amélioration de la qualité de vie des personnes confinées aux établissements de soins de longue durée. Avec des collègues, il a testé une méthode simple d’évaluation de la douleur chez des patients d’âge avancé. Des patients particuliers puisque la majorité sont incapables de verbaliser leur douleur, la maladie d’Alzheimer ou d’autres dégénérescences des capacités mentales les rendant inaptes à communiquer.

La grille d’évaluation détaille 60 signes révélateurs. Il s’agit parfois de simples expressions faciales comme un froncement de sourcils ou des grimaces, ou encore de comportements comme le repli sur soi et l’agressivité. «Un score élevé nous révèle qu’il se passe quelque chose, que la personne a mal et qu’il faut trouver des moyens de la soulager», dit René Verreault.

Les essais menés dans un centre de soins de longue durée de Québec sont très encourageants, bien que les résultats définitifs de l’étude ne soient pas encore publiés. «Nous avons identifié plusieurs épisodes de douleur qui seraient passés inaperçus sans cette approche», résume le Dr Verreault. Dans certains cas, un simple analgésique a réglé des situations qui auraient pu mener à la prescription de médicaments beaucoup plus puissants, comme des psychotropes.

Ultimement, René Verreault souhaite que cette méthode d’évaluation de la douleur soit intégrée à la routine du personnel soignant, au même titre que la mesure des signes vitaux comme le pouls et la pression artérielle. «Lors de l’étude, les infirmières ont estimé que la charge de travail n’augmentait pas vraiment, mentionne le chercheur. Elles y ont vu une source de valorisation et de motivation parce que la grille leur permet d’améliorer la qualité des soins offerts.»

Une meilleure compréhension de la douleur, plus particulièrement dans sa forme chronique, ouvre aussi la voie à une amélioration de la qualité de vie des personnes. «Il y a 100 ans, rappelle Yves De Koninck, les épileptiques étaient bons pour l’internement en asile psychiatrique. Aujourd’hui, nous savons comment les soigner.» L’attitude des professionnels de la santé et de la société à l’égard de la douleur chronique, et même de la douleur en général, changera sans doute à la lumière des récents progrès.
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