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Automne 2012

Souffrons-nous de «vaccinite»?

Les vaccins touchent un éventail croissant de maladies. Mais sont-ils tous nécessaires?

Marie-Eve Tremblay, colagene.com

En 30 ans, le nombre des vaccins administrés aux enfants québécois a quadruplé.

Le carnet de vaccination des jeunes Québécois a bien changé depuis trois décennies. En 1980, il recommandait quatre injections. En 2000, il en proposait 11. Aujourd’hui, le nombre atteint 16 pour les garçons et 19 pour les filles qui se font vacciner contre le virus du papillome humain (VPH), une infection transmise sexuellement. On immunise même les petits contre des maladies apparemment bénignes, comme la varicelle.

Plus de piqûres, plus de pleurs… plus de protection? La plupart des gens ne remettent pas en cause le bien-fondé de la vaccination. Mais beaucoup se demandent s’il faut vraiment une injection contre chaque virus qui menace.

«La vaccination est la méthode la plus efficace, la plus sécuritaire et la moins dispendieuse pour se protéger des maladies infectieuses», plaide Denis Leclerc, professeur au Département de microbiologie-infectiologie et immunologie et chercheur au Centre de recherche en infectiologie du Centre hospitalier de l’Université Laval (CHUL).

Recevoir un vaccin, c’est un peu comme faire du sport. Plus on s’entraîne, plus on devient fort! Contrairement à une idée reçue, cela n’affaiblit pas l’organisme en diminuant sa capacité naturelle à se défendre. «La vaccination renforce notre système immunitaire et aide notre corps à mieux nous protéger, poursuit l’expert. Le corps n’est pas toujours assez performant pour lutter contre des maladies virales comme la polio, l’hépatite ou la rage.»

Mieux vaut prévenir…
Naturellement, l’organisme se défend contre les infections en produisant des anticorps, des protéines qui, tels de petits soldats, attaquent toute substance étrangère menaçant son équilibre. La vaccination calque la méthode naturelle du système immunitaire, mais de façon plus rapide. Elle y parvient en nous exposant à un ou plusieurs microbes brisés et désactivés contre lesquels nous voulons acquérir une protection.

«Spontanément, le corps humain prend quelques semaines à développer des anticorps contre un microbe. Grâce à la vaccination, notre organisme développe une mémoire immunitaire qui réduit ce délai», précise Jean-Pierre Julien, chercheur au Département de psychiatrie et de neurosciences et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les maladies neuro­dégénératives.

C’est ainsi que la médecine a réussi à contrôler la diphtérie, la variole, le tétanos et la tuberculose. Plus d’un siècle après l’administration du premier vaccin, la technique continue à s’améliorer. Ainsi, la quantité totale de microbes contenue dans les vaccins est beaucoup plus faible qu’avant. En 1980, l’ensemble des injections recommandées aux petits Québécois en contenaient plus de 3000; en 2000, environ 125.

Vers un vaccin universel
«La vaccination est un domaine très excitant, estime Denis Leclerc. Il se crée beaucoup de nouveaux vaccins plus performants qu’avant.» Le chercheur en sait quelque chose! Il fait présentement tester un nouvel adjuvant, ou additif, qui pourrait améliorer l’efficacité du vaccin contre la grippe saisonnière (influenza). Le produit qu’on inocule actuellement, sans adjuvant, stimule la production d’anticorps contre des protéines trouvées à la surface du virus. Ces protéines diffèrent toutefois d’une souche à l’autre. Ce qui complique la tâche… Chaque année, Santé Canada, avec l’Organisation mondiale de la santé, détermine les trois souches les plus susceptibles de se propager parmi toutes celles qui existent et les envoie aux compagnies pharmaceutiques qui confectionnent les vaccins. Mais le virus de la grippe évolue constamment et, quelquefois, les souches sélectionnées ne sont pas celles qui circulent dans la population au moment d’immuniser les gens. Cela explique que le taux de protection actuel des vaccins contre l’influenza varie autour de 60%.
 
Les travaux de Denis Leclerc pourraient bien changer la donne. Le professeur veut développer un vaccin universel contre la grippe qui ciblerait des protéines stables à l’intérieur du virus, présentes dans 95% des différentes souches. Comment? En ajoutant au vaccin son adjuvant à base d’un virus végétal. «Le virus de la mosaïque de la papaye possède des protéines qui stimulent la réponse immunitaire sans causer d’effets indésirables puisqu’il ne peut se reproduire chez l’être humain. Lorsque ces protéines, sous la forme de nanoparticules, sont combinées au vaccin anti­grippal courant et administrées aux souris, la production d’anticorps et la réponse immunitaire augmentent considérablement», explique fièrement le chercheur. Cet adjuvant pousse le corps à réagir à des protéines du virus que le système immunitaire ne reconnaît pas naturellement. Le corps produit donc davantage d’anticorps variés pour contrer la grippe.

Vacciner ou pas?
Au-delà de la protection individuelle, la vaccination réduit –voire élimine– l’incidence d’une maladie dans la société. Résultat: une meilleure santé physique et économique pour tout le monde! Car moins de gens malades égale moins de frais d’hospitalisation. Traiter les maladies infectieuses coûte en effet beaucoup plus cher que les prévenir.

Cela ne veut pas dire qu’on doit vacciner à tout prix. «Il faut évaluer le rapport coûts/bénéfices de la vaccination», souligne Marc Brisson, chercheur au Département de médecine sociale et préventive et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la modélisation mathématique et l’économie de la santé liée aux maladies infectieuses.

C’est ce qu’il a fait avec le vaccin contre le VPH. Celui-ci est offert aux filles depuis 2008 pour prévenir le cancer du col de l’utérus, le deuxième cancer le plus fréquent chez les femmes de 20 à 44 ans. À l’aide de modèles mathématiques, l’épidémiologiste de formation a évalué que, dans le contexte actuel, vacciner les garçons ne constituerait pas une stratégie efficace pour lutter contre le VPH. «La vaccination des garçons amène des bénéfices supplémentaires, mais pas à la hauteur des efforts et des budgets consentis, explique-t-il. La situation pourrait toutefois changer si le prix du vaccin diminuait.»

Marc Brisson se penche aussi sur la varicelle. Ce virus réputé bénin représentait un fardeau pour le système de santé: consultations médicales nombreuses, quelques complications et décès. Il y a 10 ans environ, un vaccin a fait son entrée dans le carnet de vaccination des Québécois, et les cas de «picote» ont quasi disparu. L’équipe étudie maintenant la pertinence d’en administrer une deuxième dose pour lutter contre une maladie appelée zona. Causant des éruptions cutanées douloureuses, cette infection se déclare par la réactivation du virus de la varicelle dont une partie reste en dormance dans les ganglions nerveux.

Les adultes qui ont eu la varicelle et qui ont ensuite été en contact avec des enfants atteints bénéficieraient d’une protection accrue contre le zona. Par conséquent, les personnes vaccinées pourraient profiter d’un effet protecteur si elles étaient exposées au virus une seconde fois. «Pour l’instant, il n’y a pas d’augmentation de cas de zona au Canada», précise le chercheur. Si cela se produisait, on pourrait aussi vacciner chaque individu contre cette maladie vers l’âge de 65 ans.

Un casse-tête nommé AH1N1
La grippe AH1N1, qui a défrayé les manchettes à l’au­tomne 2009, constitue un captivant cas d’étude. Directeur du Département de médecine sociale et préventive et chercheur à l’Unité de recherche en santé publique du CHUL, Philippe De Wals analyse le fardeau des maladies infectieuses et la sécurité des vaccins afin de guider le gouvernement dans ses décisions. Ainsi, il a évalué le nouvel adjuvant utilisé dans le vaccin AH1N1. Ce dérivé du cholestérol et de la vitamine E sert à amplifier la réponse immunitaire. Il a permis de réduire le nombre de particules virales utilisées dans chaque dose de vaccin sans diminuer la réponse immunitaire.

«En cas de pandémie, il faut produire rapidement le plus grand nombre possible de doses de vaccin, ce que permet cet adjuvant, explique le Dr De Wals. On sait qu’il est sécuritaire et efficace, mais c’est intéressant d’en évaluer les effets à long terme après une campagne de vaccination qui touche plusieurs millions d’individus.» Le chercheur a ainsi établi un lien entre la campagne AH1N1 menée en 2009 et un petit nombre de cas de Guillain-Barré, une paralysie réversible provoquée par un dérèglement du système nerveux à la suite d’un contact avec un agent infectieux ou un vaccin. «On parle de deux cas pour un million de doses, nuance-t-il. Les bénéfices de la vaccination restent largement supérieurs aux possibles complications.» Plusieurs chercheurs pensent par ailleurs que la plupart de ces cas se seraient déclarés sans le vaccin, à la suite d’un virus ou d’un stress physique. En comparaison, chaque hiver, un aîné sur mille risque de mourir des suites d’une infection au virus de l’influenza. Le vaccin offre donc une protection à plus 70% pour un risque infime.

Raymond Massé, chercheur au Département d’anthropologie, étudie aussi cette affaire pour comprendre la perception du public à l’égard des stratégies gouvernementales de vaccination. «Environ 55% de la population québécoise s’est fait vacciner contre le virus AH1N1 en 2009, un beau succès à l’échelle mondiale, souligne-t-il. Par contre, pour une couverture optimale, de 80 à 90% de la population doit le faire.»
 
Pas facile de convaincre tout le monde de se soumettre à la seringue. Le gouvernement fédéral, estime l’anthropologue, aurait commis un faux pas en accordant le monopole de fabrication du vaccin à une seule compagnie au Canada. De là serait née la théorie du complot des compagnies pharmaceutiques qui exagèrent la pandémie pour se faire du profit. Le gouvernement n’a pas su non plus tirer parti de la crédibilité des experts en santé publique. Ceux-ci ont eu du mal à se faire entendre, ce qui n’a pas aidé les citoyens à départager le vrai du faux dans le débat public.

Par contre, les gens ont bien reçu le message de se faire immuniser pour éviter de contaminer leurs proches. «Ils acceptent de se faire vacciner pour protéger leur famille immédiate, mais pas par solidarité ni par devoir citoyen, nuance Raymond Massé. Ils ne veulent pas être responsables de leurs voisins ou collègues.»

Qui a la piqûre des vaccins? 
S’il y a une chose que les scientifiques déplorent, c’est qu’on parle plus de la crainte des vaccins que de leur énorme potentiel. Ainsi, peu de gens savent que depuis la campagne AH1N1, l’incidence de la grippe saisonnière a fortement diminué. Le vaccin a procuré une protection contre les souches subséquentes de la grippe!

Si certains se montrent rétifs, c’est qu’ils ont beaucoup entendu parler des possibles complications qui peuvent survenir après une injection. Le risque zéro n’existe pas en médecine, qu’il s’agisse d’un vaccin ou d’un médicament, rappelle Denis Leclerc. L’immunisation est devenue victime de rumeurs persistantes. Par exemple, qu’elle peut causer l’autisme. Plusieurs études ont pourtant réfuté ce lien. Lorsque le pourcentage de vaccination RRO (rougeole-rubéole-oreillons) a décru au Québec, entre 1987 et 1998, le nombre de cas d’autisme a augmenté.

La vaccination a toujours fait l’objet de débats. Déjà, au XVIIIe siècle, lors de l’administration du premier vaccin contre la variole, les gens ne voyaient pas la nécessité de se faire «soigner» avant d’être malades. La prévention demeure plus difficile à faire avaler aux patients que les traitements. «Les gens hésitent à se faire vacciner, mais consomment beaucoup d’antibiotiques, qui ont bien plus d’effets secondaires néfastes pour l’organisme, regrette Denis Leclerc. Il faut faire confiance aux experts de Santé Canada et de l’OMS. Les vaccins sont testés et retestés. Les organismes réglementaires sont très sévères, car il y a beaucoup de vies et d’argent en jeu.»

Les scientifiques semblent avoir la piqûre des vaccins, et vous?

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Vaccins du futur

Les vaccins peuvent faire bien plus que mettre des virus K.O. Ils peuvent aussi aider à lutter contre des cancers et des maladies chroniques ou neurodégénératives. «Ce type de vaccins redirige la réponse naturelle de l’organisme pour s’attaquer aux mécanismes de la maladie, précise Jean-Pierre Julien. On parle alors de vaccination thérapeutique ou passive, ou encore d’immunothérapie.» Le chercheur au Département de psychiatrie et de neuro­sciences s’attaque ainsi à la sclérose latérale amyotrophique (SLA), ou maladie de Lou Gehrig, qui se caractérise par l’agonie des neurones qui contrôlent l’activité musculaire.

«Une partie des cas sont causés par la mutation d’un gène qui fabrique alors une protéine mutante toxique pour le système nerveux, explique-t-il. Notre approche consiste à injecter par la vaccination des anticorps spécifiques qui vont neutraliser les protéines mutantes avant qu’elles ne causent trop de dommages.» Le chercheur évalue une méthode expérimentale qui utilise un vecteur viral pour produire des minianticorps à un endroit précis dans le corps, soit la moelle épinière pour la SLA. Cette méthode, très prometteuse selon lui, ne demande qu’une injection au lieu de plusieurs. Elle pourrait être appliquée d’ici cinq ans.

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La vaccination selon quatre diplômés

Lisez le témoignage de diplômés sur la situation qui prévaut en Colombie, au Burkina Faso, en Suisse et en France.

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