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Printemps 2009

Sur les flots bleu-vert de l’été

La crise des cyanobactéries a levé le voile sur le piètre état des lacs du sud du Québec et sur l'urgence de passer à l'action.

Elles existaient déjà il y a 3,8 milliards d’années. Elles ont patiemment transformé l’atmosphère, créant ainsi des conditions propices à l’explosion des formes de vie sur Terre. Elles ont conquis les lacs, les étangs, les rivières, les estuaires et les océans aux quatre coins du globe. Elles tolèrent bien les froids des deux pôles tout comme la chaleur des déserts. Elles hantent même les catacombes de Rome et la grotte de Lascaux. Aussi bien nous y faire : nous sommes condamnés à partager la planète avec les algues bleu-vert.

Au Québec, la cohabitation entre ces algues microscopiques et le genre humain s’est déroulée dans une relative indifférence pendant des siècles. Puis, arrive l’été 2007 et, brusquement, l’apparente paix lacustre prend fin. Jour après jour, les médias rapportent le drame de nouveaux plans d’eau victimes de «fleurs d’eau» –ces explosions d’algues bleu-vert ou cyanobactéries. L’ampleur véritable du problème est toutefois difficile à cerner à partir du travail des médias. Au paroxysme de la crise, alors que les reportages donnaient l’impression que les fleurs d’eau se multipliaient comme du chiendent, à peine une centaine de lacs, sur le demi-million que compte le Québec, étaient frappés par une poussée de fièvre bleu-vert. Comme bon nombre d’entre eux sont situés près des zones habitées, que certains alimentent un réseau d’eau potable et qu’il y a souvent disette de nouvelles pendant l’été, les médias ont accordé une telle couverture au phénomène qu’on aurait pu croire que tous les lacs québécois avaient succombé au mal.

Un effet média contraire a été observé en 2008, alors que le nombre de reportages consacrés au sujet a fondu de moitié par rapport à l’année précédente. Pourtant, sur le terrain, le nombre de lacs contaminés est demeuré sensiblement le même, soit 138 contre 156 en 2007. Ou bien les médias se sont lassés des algues bleu-vert ou la décision des autorités gouvernementales de divulguer la liste des lacs contaminés uniquement à la fin de l’été, sauf en cas de danger pour la santé des citoyens, a coupé l’arrivée d’eau au moulin médiatique. Peu importe l’explication, le fond du problème ne s’est atténué qu’en surface.

«La couverture journalistique a été un peu extrême en 2007», juge Warwick Vincent, professeur au Département de biologie, directeur du Centre d’études nordiques (CEN) et spécialiste des cyanobactéries. À un point tel que des gens craignaient de s’approcher de plans d’eau comme le lac Saint-Jean où les problèmes d’algues étaient pourtant éphémères et très localisés. Comme seulement quelques-unes des 2000 espèces d’algues bleu-vert sont dangereuses pour l’humain et comme même des lacs en bon état peuvent connaître des fleurs d’eau à l’occasion, il ne faut pas appuyer machinalement sur le bouton panique.  La surenchère médiatique a quand même eu du bon, poursuit le chercheur. La population a réalisé que nous avions négligé trop longtemps les lacs du sud du Québec.»

Des causes connues
En effet, si le nombre de lacs qui ont connu des fleurs d’eau est passé de 21 en 2004 à plus de 130 depuis deux ans, ce n’est pas en raison d’un événement ponctuel survenu pendant cette période, souligne le chercheur. Les cyanobactéries ont besoin de deux ingrédients principaux pour s’épanouir. Le premier: un généreux apport en phosphore. Ce n’est pas d’hier que les engrais, les savons, les fosses septiques défectueuses et le déboisement des berges favorisent l’infiltration de cet élément dans l’écosystème lacustre. Pourquoi alors cette soudaine multiplication des fleurs d’eau? «Les lacs du sud du Québec ont atteint un seuil critique de sensibilité, résultant de plusieurs décennies de dégradation, qui fait que toute nouvelle addition de phosphore a maintenant d’importantes répercussions, explique-t-il. Nous récoltons aujourd’hui le fruit de nombreuses années de négligence.»

Un second facteur favorise une généreuse soupe d’algues bleu-vert: une eau avoisinant les 25°C. Les espèces qui s’épanouissent à la chaleur, notamment certaines cyanobactéries, ont le vent en poupe depuis que le réchauffement climatique a perturbé l’équilibre dans lequel vivaient les communautés d’organismes lacustres. Une étude internationale à laquelle a participé Reinhard Pienitz, du Département de géographie, l’a clairement démontré. À l’aide de carottes de sédiments contenant des restes d’algues et d’invertébrés, les chercheurs ont reconstitué le profil démographique des communautés lacustres de 55 lacs nordiques isolés. La relative stabilité qui a prévalu pendant quelques millénaires a pris fin avec la révolution industrielle, alors que les populations de certaines espèces rares ont explosé et que d’autres, autrefois abondantes, ont pratiquement disparu. L’accroissement des gaz à effet de serre et la hausse des températures qui a suivi auraient favorisé les espèces qui tolèrent bien le prolongement de la saison de croissance et la réduction du couvert de glace.

L’effet climatique joue de la même façon sur les plans d’eau situés plus au sud, comme le lac Saint-Charles, qui alimente en eau 300 000 résidants de la région de Québec. «Même si des mesures sévères de contrôle de pollution y sont appliquées, ce lac connaît à l’occasion des fleurs d’eau», souligne M. Pienitz. Difficile, devant ces faits, de ne pas admettre que la main du climat contribue à troubler davantage l’état des lacs.

Agir et patienter
Comme on ne contrôle pas le thermostat planétaire, c’est sur les sources de pollution que sont axés les efforts pour juguler les populations de cyanobactéries. Mais même en coupant entièrement les sources de pollution, il faut du temps pour rétablir un lac intoxiqué, comme l’a démontré l’équipe de Reinhard Pienitz à Schefferville. Pendant trois décennies, les eaux usées de cette ville minière ont été déversées directement dans le lac Dauriat. Mais 20 ans après la fermeture de la mine et l’exode de la population, ce lac porte encore les séquelles du passé, même si l’eau qu’il contient se renouvelle naturellement une dizaine de fois par année. «Le retour à l’état originel d’un lac perturbé est long, sinon impossible, conclut le chercheur. Croire qu’on peut ramener rapidement un lac très pollué à son état naturel est utopique et dénote une méconnaissance de l’écologie aquatique.»

Le recours à des procédés technologiques peut toutefois accélérer le retour à des conditions moins favorables aux cyanobactéries, surtout pour des plans d’eau en piteux état comme le lac Saint-Augustin, près de Québec. Entouré de terres agricoles et de quartiers résidentiels, ce lac est alimenté par des eaux chargées de sels de déglaçage, d’engrais et de polluants qui contribuent à son vieillissement prématuré et aux fleurs d’eau estivales. «Même si on parvenait à couper toutes les sources de pollution, on estime qu’il faudrait des centaines d’années avant que le lac Saint-Augustin retrouve son état naturel», avance Rosa Galvez, professeure au Département de génie civil.

L’été 2009 sera déterminant pour l’avenir du lac Saint-Augustin. Mme Galvez et ses collègues testeront une méthode de restauration-choc pour ramener à la vie ce plan d’eau comateux. D’abord, ils provoqueront la précipitation du phosphore à l’aide de produits couramment utilisés dans le traitement de l’eau potable; l’objectif est d’abaisser de deux à trois fois la concentration de phosphore dans la colonne d’eau. Une fois ce phosphore déposé sur le fond, les chercheurs proposent de recouvrir le tout de roches calcaires qui réagissent naturellement avec le phosphore et l’empêchent ainsi de retourner en suspension.

Contrairement à une membrane textile, cet empierrement a l’avantage de retenir le phosphore sans entraver la circulation naturelle des eaux du lac. Comme il s’agit d’un projet pilote servant à tester l’efficacité de cette approche, seuls les secteurs les plus contaminés seront recouverts de roches. Les effets sur la qualité de l’eau et sur la biologie du lac devraient être mesurables peu de temps après l’opération, prévoit la chercheuse.

Même si cette intervention s’avérait efficace, elle ne pourrait être généralisée à l’ensemble des lacs touchés par la prolifération d’algues bleu-vert au Québec. «C’est parce que les mesures de réduction à la source n’ont pas eu suffisamment d’effets qu’on en est rendu à envisager pareil scénario, souligne Rosa Galvez. C’est une solution qui ne devrait être considérée qu’en dernier recours.»

La tentation technologique
Reinhard Pienitz croit, lui aussi, qu’il faut résister à la tentation d’attaquer les cyanobactéries à coup de produits chimiques et de filtres, comme s’il s’agissait simplement d’éliminer les algues d’une piscine. «L’expérience a prouvé qu’en optant pour des solutions technologiques, on crée souvent de nouveaux problèmes tout aussi graves. Le chaulage des lacs acides en Scandinavie en est un bon exemple.» Si on veut vraiment améliorer la santé des lacs, il faut couper l’arrivée du phosphore dans le lac et, pour y parvenir, le chercheur propose un plan d’action qui repose sur deux stratégies: réduire la pollution à la source en s’attaquant aux eaux usées domestiques et à la pollution agricole, et renaturaliser les berges pour capter le phosphore avant qu’il n’arrive au lac.

Membre du Conseil du bassin du lac Saint-Augustin depuis cinq ans, le chercheur sait trop bien que sa philosophie d’intervention ne fait pas l’unanimité. «Les propriétaires de chalet, les résidants, les villégiateurs, les adeptes de plein air, les pêcheurs et les producteurs agricoles ont des intérêts très divergents par rapport à un lac et il n’est pas simple de les concilier. Mais si le but est de sauver le plan d’eau, on ne pourra satisfaire tout le monde. Certaines activités devront être mieux réglementées.»
 
Afin que les efforts pour sauver un lac ne soient pas un coup d’épée dans l’eau, Reinhard Pienitz propose d’ailleurs que les mesures de restauration soient intégrées au plan de développement régional. «On ne peut pas faire à la fois de grandes coupes forestières dans un bassin versant pour accueillir de nouvelles industries et espérer que la restauration d’un lac donne de bons résultats. On ne peut pas tout avoir en même temps.»

Le chercheur admet qu’il faudra une bonne dose de courage politique pour faire face à la tempête que risque de soulever l’adoption de mesures de protection des lacs. «Ces mesures vont affecter certains groupes d’usagers, c’est inévitable. Les décideurs devront aussi composer avec l’impatience des citoyens, parce que les résultats vont mettre du temps à se faire sentir. On ne peut pas effacer plusieurs décennies de pollution en quelques années»

De son côté, Warwick Vincent souligne qu’il n’y a pas de recette miracle applicable à tous les lacs. Pour obtenir des résultats durables, il faut élaborer une stratégie qui tient compte des particularités de chaque plan d’eau: son contenu actuel en phosphore, les sources externes de cet élément qui menacent de contaminer l’eau, l’utilisation du sol dans le bassin versant, etc.

«Cela permet de poser le bon diagnostic et d’élaborer un plan d’action approprié, précise M. Vincent. Les gens qui espèrent que la science trouvera moyen d’éliminer les algues bleu-vert méconnaissent la biologie de ces espèces. Elles sont présentes dans nos lacs depuis toujours et leur recrudescence est surtout le symptôme d’un mal plus profond. Il est malheureux que nous n’ayons pas pris conscience du problème il y a 50 ans parce qu’il faut beaucoup de temps pour le corriger. Pour la même raison, il est urgent que nous passions à l’action dès maintenant.»

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TÉMOIGNAGES DE DIPLÔMÉS
Lisez le témoignage de trois diplômés sur l’état des lacs dans les pays où ils habitent: Mexique, Rwanda et Brésil.
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