Le magazine Contact

La zone d'échanges entre l'Université Laval,
ses diplômés, ses donateurs et vous

Le magazine Contact

Hiver 2012

Voyage au cœur de l’humanité

La bibitte qui intéresse le plus les deux biologistes, c’est l’humain. Deux films en témoignent déjà et un troisième sortira bientôt.

Photo Mélanie Carrier

Pour Olivier Higgins comme pour sa compagne, les réalités de la planète sont liées entre elles et c'est ce qu'ils montrent dans leurs films.

«Mélanie, as-tu vu le bodum?» «Regarde dans l’armoire Olivier, au fond, avec la vaisselle donnée par ma tante.» «Je ne le vois pas. Tant pis.» Olivier-le-pratique, qui avait déjà renoncé à la théière, démarre l’infusion du thé en toute simplicité, dans une casserole. Une casserole sans doute offerte ou prêtée par les proches du couple, comme ses meubles, ses électroménagers et bien d’autres objets. Le bungalow de Charlesbourg que les Higgins-Carrier habitent par intermittence depuis quelques années colle bien à leur définition d’un pied-à-terre. Eux qui peuvent dormir à même le sol dans le désert ou la steppe ont simplement besoin d’un endroit où poser leur matériel, le temps de rassembler leurs idées, monter leur prochain film, préparer une conférence. La décoration intérieure tient du superflu lorsque tant d’images de tempêtes de sable, de descentes de rivières en canot et de gens rencontrés au détour d’un marché sud-africain foisonnent dans la tête des habitants de la maison.

La trentaine aventurière, Mélanie Carrier (Biologie 2003) et Olivier Higgins (Biologie 2003) alignent les stages d’études, les voyages et la production de films et de conférences depuis plusieurs années. Ils vivent à fond leur passion des autres et de la découverte. Fondateurs de MÖfilms, ils ont jusqu’à maintenant produit deux documents cinématographiques. Asiemut, sorti en 2007 et salué par 35 prix dans les festivals de films d’aventure, raconte leur périple de 8000 km en Asie à vélo et leur découverte de l’Autre. Rencontre, tourné en 2008 et lancé en novembre 2011, témoigne de l’aventure de jeunes autochtones et non autochtones partis en canot sur un circuit ancestral reliant la vallée de la Jacques-Cartier au lac Saint-Jean. Un troisième film, aussi tourné au Québec, est en préparation.

Mélanie Carrier et son compagnon se revendiquent tous deux de leur diplôme en biologie.

Mélanie Carrier et son compagnon se réclament tous deux de leur diplôme en biologie.

Toujours biologistes
À l’Université, la jeune étudiante a adopté la biologie après une expérience décevante en psychologie. Elle n’a pas aimé devoir choisir entre neuropsychologie, psychanalyse et béhaviorisme. Par contre, elle a été séduite par l’interdépendance préconisée dans les manuels de cours de celui qui était déjà son amoureux et qui étudiait en biologie. D’ailleurs, c’est la vision holistique et circulaire, possible en biologie, qui attirait alors Olivier Higgins et qui l’intéresse toujours: «J’aime beaucoup ce qu’a dit le prix Nobel de chimie Linus Pauling, à savoir que la vie ne réside pas dans les molécules, mais dans les liens qui les unissent», dit-il. «Nous croyons en l’importance des liens entre les gens», complète sa conjointe.

Interrogés sur les professeurs qui ont marqué leur parcours universitaire, les deux diplômés citent spontanément les noms de Cyrille Barrette, aujourd’hui retraité du Département de biologie, et de Jacques Larochelle. «J’ai beaucoup apprécié la capacité de M. Larochelle de parler d’actualité politique pour en arriver au corps, se souvient la diplômée. Sa vision de la société était intégrée dans le cours de physiologie animale sans trop qu’on s’en aperçoive.» Jacques Larochelle se rappelle bien de ces étudiants «si particuliers, au meilleur sens du terme». Rapidement, le professeur et chercheur a saisi que les préoccupations du couple dépassaient de loin celles du reste du groupe, une ouverture confirmée par la suite de son parcours. «Je trouve très noble leur intention d’aider l’humanité à mieux vivre, dit-il. C’était réjouissant aussi, durant leur bac, de voir leur sens de l’initiative et leur énergie incroyable.»

Des études qui font voyager
Déjà passionnés par la découverte des autres, les deux étudiants font des pieds et des mains pour terminer leur formation universitaire dans un autre environnement, incitant les responsables du profil international à étendre ce programme au baccalauréat en biologie. En septembre 2002, les voilà partis pour l’Université de la Réunion. L’île française, située à 800 km de la côte Est africaine, dans l’océan Indien, est un véritable paradis pour biologistes avec ses 80% d’espèces endémiques, fruit d’une évolution locale. Les professeurs de là-bas ont beau avoir une notion plutôt élastique de l’heure du début du cours, les deux étudiants sont ravis de l’expérience. Ils plongent avec émerveillement dans une nature, ô combien différente de la vallée du Saint-Laurent.

Pendant leur session à l’île de la Réunion, Mélanie Carrier et Olivier Higgins explorent avec masque et tuba des récifs coralliens pour en mesurer la densité et pour identifier la présence de certains poissons. Ils suivent même le responsable du Laboratoire des sciences de la terre de cette université jusqu’au Piton de la Fournaise, à 2600 m d’altitude, pour l’aider à recueillir des échantillons de lave. Être plongé dans la réalité fumante et bouillonnante d’une éruption volcanique est une expérience bouleversante pour le jeune homme. «Pendant 15 minutes, nous sommes restés à une vingtaine de mètres de la lave qui sortait en fusion, raconte-t-il. Concentrés sur les boules de lave qui éclataient pas loin, nous ne nous sommes même pas rendu compte que nos espadrilles fondaient!»

Même si la Réunion constitue un terrain d’étude extraordinaire, les deux aventuriers ont eu envie de passer à autre chose: par exemple, se rendre à Madagascar pour comparer la façon dont les parcs nationaux malgaches et québécois séduisent les touristes. Aussitôt leur session terminée, ils vont passer trois mois sur cette gigantesque île grâce à un stage de Réseau Contact international, une formule conjointe du Service de placement de l’Université Laval, d’Action Emploi et du Bureau international de l’Université. Même si ce stage n’est pas crédité par le Département de biologie, leur but est atteint: se rapprocher du pays et de ses habitants en rencontrant des responsables de parcs et des groupes d’enfants.

L’heure du cinéma
Pas de doute, le voyage fait partie de l’ADN des Higgins-Carrier, de leur philosophie de vie. Après avoir parcouru l’Inde, l’Afrique du Sud et le Mexique, les jeunes diplômés décident de frapper un grand coup. Ils se concoctent un périple de 8000 km en vélo, de la Mongolie à la plaine du Gange en Inde. L’aventure deviendra un film plusieurs fois primé, Asiemut, puis un livre, Cadence. Parmi les 35 reconnaissances accordées à Asiemut, figure le prix Festival 2008 du Cervino CineMountain, attribué parmi les gagnants de tous les festivals d’aventure de l’année.

À bien des égards, le documentaire raconte moins leur odyssée à travers la steppe, les yourtes des Mongols, les échoppes colorées du nord de la Chine, la blancheur du Tibet et la cohue indienne que leur voyage intérieur. Instantané: Mélanie regarde la caméra, le visage écorché par la tempête de sable qu’ils viennent de subir pendant huit heures dans le désert du Taklamakan, entre la Mongolie et la Chine. «On doit être les deux seuls fous à traverser ça en vélo», confie-t-elle à la caméra, complètement épuisée.

À les voir pendant tout ce film rouler dans la boue, dans le sable, chercher leur chemin ou une source d’eau au milieu de la steppe mongole, le spectateur bien au chaud dans son fauteuil prend conscience du poids de l’expression «aventure humaine». Mais aussi de la force d’un couple d’amoureux soudés face à l’adversité et prêts à tout l’un pour l’autre devant les obstacles à surmonter. Tout en roulant, les deux voyageurs s’interrogent, réfléchissent à leur appartenance et à leur identité. En fréquentant des peuples fiers de leur culture, ils en viennent à s’interroger sur leurs traditions et, surtout, sur leur manque de connaissance des autochtones du Québec.

Ce propos peut sembler à mille lieues de la biologie, mais il est pourtant très proche de cette discipline selon les Carrier-Higgins: «La biologie nous permet de faire un lien entre les choses, d’avoir une vue globale de la société, sans barrières. De la même façon que la construction d’une route a des impacts sur le ruisseau à côté, puis sur le fleuve où aboutit le ruisseau. Nous avons donc décidé d’utiliser l’art pour montrer que tout est lié.»

Bientôt en montage

Leur plus récente aventure est née de ce désir de franchir les frontières entre les peuples, entre les Premières Nations du Québec et les Blancs. Pour passer par-dessus l’obstacle de l’indifférence mutuelle, le couple a choisi son véhicule de prédilection, le vélo. Au cours de l’été 2011, les deux cyclistes se sont donc lancés sur les routes de la Côte-Nord, bien décidés à écouter ce que les uns et les autres avaient à dire sur les relations entre les Amérindiens et le reste du Québec. Première surprise: le dépaysement. «J’étais assis en forêt sous un abri recouvert de branches de sapins, et j’écoutais autour de moi des Innus parler et rire ensemble, raconte Olivier Higgins. J’étais le seul à ne rien comprendre, alors que je me trouvais au Québec. Pour moi, cela a été un moment culturel important.»

Au fil de leurs rencontres et de leurs lectures (comme celle du livre du sociologue de l’Université Laval Jean-Jacques Simard, La réduction. L’autochtone inventé et les Amérindiens d’aujourd’hui), les deux biologistes ont pris toute la mesure de leur ignorance des peuples autochtones d’ici et de la loi infantilisante qui les régit. Leur film, pour l’instant baptisé Québékoisie, témoignera de cette démarche. Le tournage amorcé en 2011 se poursuivra l’été prochain, le montage se faisant à l’automne. Le film devrait voir le jour en 2013.

Ce périple à bicyclette n’était tout de même pas leur premier contact avec les autochtones d’ici, comme le prouve Rencontre, leur deuxième et plus récent film, sorti en 2011. Pour cette production, les deux cinéastes ont suivi, pendant trois semaines en 2008, un groupe de jeunes autochtones (Innus et Wendats) et de jeunes Québécois sur le «chemin des Jésuites». Cette route ancestrale de 310 km relie le lac Saint-Jean à la vallée de la Jacques-Cartier, près de Québec, par un circuit de lacs et de portages. Le résultat: un partage tous azimuts entre les membres de l’expédition qui ont appris au fil de l’eau à avironner ensemble, en oubliant les préjugés qu’ils nourrissaient sur la culture de l’autre.

Et la suite? Pour les deux diplômés, l’horizon aperçu par la porte-patio de leur bungalow ne semble pas assez vaste. Comme s’ils voulaient faire mentir l’écriteau «Chassez le naturel, il revient au bungalow» que leur ont offert des amis pour les mettre en boîte… Eux dont le film Asiemut a été diffusé dans une quarantaine de pays, eux qui ont parcouru le monde en tous sens, ils veulent absolument continuer à témoigner en images des relations entre les gens, entre les peuples. Même si cette mission n’a rien de confortable.

Sans le soutien des grandes maisons de production, sans l’aide des diffuseurs comme les stations de télévision, la production de chaque film constitue une aventure sans filet. «Il faut être fous», lance Olivier Higgins le nez dans sa tasse fumante. «Et avoir vraiment confiance en soi pour se lancer dans le vide», ajoute sa compagne de vie, un sourire dans la voix.
 
Même si, pour eux, boucler le budget mensuel tient parfois du miracle, les Higgins-Carrier disposent d’un trésor inestimable: la certitude que leur engagement contribue à plus de conscience sociale. 

***
Petite tournée de ceux qui tournent
Par Manouane Théberge

Plusieurs diplômés mènent leur carrière dans le monde du cinéma. Parmi eux, Richard Speer et Philippe Gagnon. Le premier connaît une carrière fulgurante de producteur: Richard Speer (Administration des affaires 1994) a plusieurs films à son actif, dont Québec-Montréal et C.R.A.Z.Y., sans compter les nombreuses séries télévisées qu’il a produites (Tout sur moi, La Galère, etc.). En 2000, avec Nicole Robert, il a fondé la compagnie Go Film (Horloge biologique, 1981, Les sept jours du Talion). Puis il a acquis, en 2002, Cirrus Communications (La loi du cochon, 5150, rue des Ormes) et fondé Attraction Média, dont il assure toujours la présidence. Attraction Média regroupe plusieurs entreprises de création, ce qui lui a permis de se tailler une place de choix dans la production publicitaire, cinématographique et télévisuelle en plus de faire de la distribution et de la coproduction à l’étranger.

Quant à Philippe Gagnon (Études cinéma­tographiques 1995), il a réalisé son premier long métrage en 2004, Premier juillet, et c’est lui qui a signé la réalisation de Dans une galaxie près de chez vous 2. Depuis, sa carrière de réalisateur se poursuit sans relâche avec des épisodes de téléséries (Nos étés, Yamaska, Chambre #13), des longs métrages pour la télévision en anglais et un film (Le Poil de la bête). Il planche maintenant sur l’écriture de deux scénarios de film qu’il réalisera chez Films du Boulevard.

Lorsque Contact lui a demandé de nommer un diplômé actif dans le domaine, Esther Pelletier (Baccalauréat général 1978; Français 1981 et 1990), professeure en cinéma et télévision au Département des littératures et elle-même réalisatrice et scénariste du long métrage Sur les pas de René Richard, a tout de suite pensé à Yves Simoneau (Études cinématographiques 1978). Ce producteur, parti vivre de sa passion au États-Unis en 1990 et revenu tourner au Québec 20 ans plus tard, a fait sa marque au cinéma. Dans le ventre du dragon, Bury My Heart at Wounded Knee et L’appât comptent au nombre de ses tournages.

Des diplômés de l’Université Laval se démarquent aussi comme réalisateurs de documentaires. Un de ceux-là est Pierre-Étienne Lessard (Communication publique 1991), qui joue avec plusieurs médias. Documentaires Web et traditionnels, productions 3D et courts métrages plus personnels parsèment son parcours créatif. Figurent au nombre de ses collaborateurs et clients Robert Lepage, Zone 3, le Cirque du Soleil (pour qui il a tourné Éclosion), le spectacle équestre Cavalia et Martin Léon.

Côté relève, Simon Rodrigue (Anthropologie 2008) donne lui aussi dans le documentaire. Son premier film vient de paraître à l’automne 2011: Hommes-des-Bois, réalisé avec patience et passion. Son père et son grand-père ayant été bûcherons, le diplômé y explore ses racines familiales et le passé forestier québécois. Ce documentaire l’a même amené à produire un album de contes et chansons typiques des chantiers forestiers.

 

Haut de page
  1. Aucun commentaire pour le moment.

Note : Les commentaires doivent être apportés dans le respect d'autrui et rester en lien avec le sujet traité. Les administrateurs du site de Contact agissent comme modérateurs et la publication des commentaires reste à leur discrétion.

commentez ce billet

M’aviser par courriel des autres commentaires sur ce billet