Les blogues Contact

La zone d'échanges entre l'Université Laval,
ses diplômés, ses donateurs et vous

Les blogues de Contact

Photo de André Desrochers

Éloge du doute

Avec cet hiver qui a testé notre patience, j’aimerais revenir sur le thème des changements climatiques, en abordant 2 aspects cruciaux du débat, le consensus scientifique et le doute. Bien des choses ont été dites à ce sujet dans la blogosphère, mais je vous offre tout de même ma perspective particulière.

doute

Marchands de doutes
Depuis mon enfance, on m’enseigne que le doute est un fondement de la science, crucial à l’évolution des idées, un peu comme la variation entre les organismes l’est pour leur évolution darwinienne. Tous les scientifiques dignes de ce nom acceptent cette idée, sauf que certains considèrent qu’on sort parfois du doute raisonnable ou honnête. Dans la mare du débat sur les causes des changements climatiques récents, les historiens Naomi Oreskes et Erik Conway ont jeté en 2010 un sérieux pavé, avec un livre intitulé Merchants of Doubt. Cet ouvrage expose les stratégies douteuses utilisées par plusieurs industriels dans le but de discréditer des recherches scientifiques démontrant les dangers des produits de leur entreprise. Par exemple, on dit que l’industrie du tabac encourageait certains scientifiques à nourrir malhonnêtement la controverse sur les recherches indiquant un lien entre le tabagisme et le cancer. Je n’ai aucune difficulté à croire cela, et ce genre de pratique est sûrement encore répandu. Prenons le cas de nombreux polluants profitables et autres produits comme… le CO2.

Il y a un parallèle évident entre l’industrie du tabac qui mousse la recherche jetant un doute sur les dangers du tabagisme, et l’industrie des combustibles fossiles qui subventionne des initiatives contestant la causalité entre les émissions de CO2 et le réchauffement climatique récent. Si bien qu’aujourd’hui, ceux qui doutent de l’hypothèse d’une cause anthropique au réchauffement climatique1 se font souvent accuser d’être des «marchands de doutes» à la solde de l’industrie pétrolière ou d’être animés par les forces obscures de la droite réactionnaire.

Je veux bien croire que parfois le doute est injustifié ou carrément malhonnête. J’ai entendu toutes sortes d’arguments d’illuminés jetant un doute sur l’existence de l’évolution. Pourtant, cette dernière est un fait que tous peuvent observer sans devoir être spécialistes dans le domaine, aucune foi en l’autorité n’est nécessaire2. Aussi, certains doutent encore des résultats montrant que l’homéopathie ne fonctionne pas. Pourtant, une synthèse de plusieurs études cliniques bien faites est claire: l’homéopathie ne traite pas mieux qu’un placebo3. En plus, si elle devait fonctionner, il faudrait réviser les fondements de la chimie et de la physique. Le scientifique et astronome Carl Sagan l’a dit: Extraordinary claims require extraordinary evidence.

Doit-on pour autant partir en guerre contre tous ceux qui doutent des résultats de la science? Bien sûr que non, car ils ont souvent raison! De grandes avancées scientifiques, comme l’héliocentrisme et la tectonique des plaques, se sont produites grâce à des gens qui doutaient, envers et contre l’establishment scientifique. Aujourd’hui, cet establishment soutient l’hypothèse réduisant le réchauffement climatique récent à un principal coupable: les émissions humaines de CO2. Il doit bien y avoir des raisons pour cela, direz-vous. Oui, évidemment, mais vous allez être déçus si vous allez droit vers le cœur de l’argumentaire scientifique4. Vous découvrirez que, finalement, de nombreux aspects fondamentaux de l’hypothèse sont méconnus (par exemple, les rétroactions causées par les nuages et les interactions atmosphère-océan). Pourtant, le mécanisme de base, l’effet de serre, est connu depuis longtemps et les spécialistes de l’atmosphère ne sont pas idiots. C’est simplement parce que le duo atmosphère-océan est incommensurablement complexe, un fait que le GIEC5 n’exhibe pas dans ses sommaires pour décideurs. J’imagine que cela rendrait la mobilisation politique moins efficace.

La légende du consensus
Ce qu’on nous sert le plus souvent pour nous assurer de la fiabilité de la science du réchauffement climatique, c’est un argument circulaire. On nous dit en effet qu’on peut se fier à la science parce que la grande majorité de ses pratiquants le disent! Il y aurait en effet un fort consensus des chercheurs… Mais sur quoi exactement? Bonne question. Pratiquement aucun de ceux-ci, incluant les sceptiques, ne doute du réchauffement du climat terrestre depuis 100 ans. En fait, tenter de prouver aux sceptiques que le climat s’est réchauffé (glaciers, Arctique, etc.) revient à enfoncer une porte ouverte. Là n’est pas la question.

Là où c’est plus intéressant, c’est de mesurer le niveau de doute par rapport aux causes du réchauffement climatique. Trois études fort médiatisées sont à l’origine du fameux consensus de 97%6 cité entre autres par Obama. Elles sont à mon avis toutes aussi bidons les unes que les autres (je les ai lues). Je manque d’espace dans ce billet pour illustrer mon propos, mais l’étude de Cook et de ses collaborateurs (2013), la plus imposante, est critiquée ici, jugez-en par vous-mêmes. Elle est néanmoins intéressante, car dans un effort de transparence, le site Skeptical Science (peut-être le site Web le plus bizarrement nommé, car il est tout sauf sceptique) offre un engin de recherche permettant aux personnes curieuses d’explorer les quelque 12 000 références qui ont servi à compiler les résultats de Cook et coll. Dans un réel effort d’ouverture, j’ai tenté de faire ressortir les recherches appuyant fortement l’hypothèse anthropique. Une cinquantaine de bons articles sont apparus, avec le terme «climat» dans le titre. Mais ils n’ont pas tous quelque chose de bien édifiant à dire sur les causes des changements climatiques récents…

Car voyez-vous, un problème fondamental avec ce consensus dont on n’a pas le droit de douter7, c’est que la majorité des chercheurs qui étudient le climat n’ont aucune formation en physique de l’atmosphère ou des océans. En effet, l’appellation «scientifique du climat» ratisse large, incluant physiciens, chimistes, mathématiciens, programmeurs, océanographes, hydrologistes, économistes, sociologues, forestiers, écologistes, et j’en passe. De toute cette coterie de chercheurs, seuls ceux qui étudient la dynamique des fluides (atmosphère, émissions de gaz à effet de serre, océans) et leurs interactions devraient avoir autorité sur la question des causes du changement climatique, n’est-ce pas? Car je veux bien qu’un spécialiste des papillons8 ait une opinion sur le sujet, cela n’établit en rien la rigueur scientifique des causes des changements climatiques. Pire encore, parmi la cinquantaine d’articles présentés plus haut comme preuve du réchauffement anthropique, j’ai trouvé un bijou: Shannon et al. 2007. «Global Climate Change and Children’s Health.» Pediatrics 120:1149-1152. Vous avez bien lu, des pédiatres s’inquiétant de la santé des enfants sur cette planète suintante… Sérieusement, vous pensez que cela va me convaincre que les humains sont coupables du réchauffement climatique? 

Spectateurs
En fait, la science climatique, c’est comme un beigne: bien des spectateurs autour de l’objet d’étude (les processus climatiques), mais si peu d’acteurs au centre! Pour vous en convaincre, je vous offre ma propre étude d’amateur (au moins, celle-ci ne fera pas un tabac médiatique). En me basant sur une liste d’environ 3 000 «scientifiques du climat» offerte ici par un chercheur de l’Université de Toronto, j’ai découvert que des 1 284 chercheurs avec un champ de compétence identifié et qui ont publié sur le climat, 61% n’avaient rien à voir avec la dynamique des fluides, au sens très large du terme. Et parmi les spécialistes de l’atmosphère énumérés, 25% ont affiché ouvertement leurs doutes quant aux causes humaines des changements climatiques. De son côté, le Web of Science offre quelque 62 000 titres d’articles incluant le terme «climate» (depuis 1990). De ces articles, juste 20% traitent de la dynamique de l’atmosphère. Les autres surfent sur les affirmations des vrais scientifiques du climat. Fait-on ce genre de distinction quand on claironne que le consensus des «scientifiques du climat» est béton? Non.

Devant les échecs spectaculaires des modèles climatiques et les remises en question récentes de certains préceptes de la science climatique, sans parler de ce consensus qui n’en est pas un, permettez-moi de revenir à la base de la méthode scientifique, et de douter.

1 Si vous lisez mon blogue régulièrement, vous aurez compris que je suis de ceux-là. Mais cela est plutôt récent, car j’étais encore il y a quelques années «satisfait» de l’hypothèse rendant les humains coupables du réchauffement climatique.

2 Le livre de Richard Dawkins, The Greatest Show on Earth, devrait vous convaincre si vous n’êtes pas certains.[/

3 Linde, K., N. Clausius, G. Ramirez, D. Melchart, F. Eitel, L. V. Hedges, and W. B. Jonas. 1997. «Are the clinical effects of homoeopathy placebo effects? A meta-analysis of placebo-controlled trials.» The Lancet 350:834-843.[

4 La meilleure synthèse de l’argumentaire scientifique en faveur de la cause humaine au réchauffement climatique que j’ai trouvée: http://www.skepticalscience.com/empirical-evidence-for-global-warming.htm. Les sommaires du GIEC ne sont pas aussi convaincants, à mon avis.

5 Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, création politico-scientifique des Nations unies.

6 Cook et al. 2013. «Quantifying the Consensus on Anthropogenic Global Warming in the Scientific Literature» Environmental Research Letters 8, 024024; Doran & Zimmerman. 2009. «Examining the Scientific Consensus on Climate Change» Eos, Transactions American Geophysical Union 90, 22; Oreskes. 2004. «The Scientific Consensus on Climate Change». Science 306, 1686.

7 Désormais, les climato-sceptiques seraient bannis du courrier des lecteurs du Los Angeles Times et des entrevues à la BBC en Écosse, entre autres.

8 Camille Parmesan, de l’University of Texas (Austin). Spécialiste des papillons, dilettante en sciences atmosphériques. Une des «spécialistes du climat» les plus citées, à cause de ses spéculations sur les liens entre les déboires, réels ou annoncés, de certains papillons et les changements climatiques dont les émissions humaines de gaz à effet de serre seraient coupables.

Haut de page
  1. Publié le 4 avril 2014 | Par David Huard

    M. Desrochers,

    La science ne prouve rien, elle ne permet que de réfuter. Les hypothèses attribuant le réchauffement observé aux causes naturelles (variations solaires, rayons cosmiques, volcans, couche d'ozone) ont été réfutées. La seule explication qui tient encore la route après 40 ans de tentatives de falsification est celle attribuant les changements climatiques observés aux gaz à effet de serre et aux aérosols. Vous conviendrez avec moi que face à l'accumulation de confirmations, vient éventuellement un temps où le doute n'est plus rationnel. Mes collègues climatologues et moi croyons que nous avons franchi ce point depuis quelques années déjà.

    Vous pouvez évidemment ne pas être d'accord et continuer d'en douter aussi longtemps que vous le voudrez, mais permettez aux chercheurs et aux décideurs de se fier au concensus et d'ignorer les cris de ceux dont le scepticisme n'est pas accompagné d'une hypothèse aussi bien testée.

    P.S. Toutes les questions de dynamique de l'atmosphère et de l'océan sont critiques pour estimer les changements climatiques à l'échelle régionale, mais beaucoup moins significatives à l'échelle globale. Les premiers modèles climatiques avaient un seul continent et un seul océan et obtenaient des résultats globaux pas si différents des modèles d'aujourd'hui. Autrement dit, les chances sont très minces pour que les incertitudes reliées aux rétroactions que vous mentionnez puissent modifier significativement les conclusions principales à l'échelle globale.
  2. Publié le 4 avril 2014 | Par Franc Laplante

    Me voilà ému aux larmes. La science va-t-elle enfin triompher de ce bourbier terrifiant qu'est le «non» débat sur les changements climatiques?

    Merci mille fois.

    Cet épisode d'obscurantisme va-t-il se terminer pour qu'on retourne à une science rigoureuse et un peu plus humble. Et si le réchauffement est causé par les activités humaines au moins on pourra intervernir de façon rationelle au lieu de créer un totalitarisme idéologique aveugle qui pourrait étouffer finalement toute poursuite de connaissance réelle objective.

    Merci
  3. Publié le 1 avril 2014 | Par André Desrochers

    @ Natacha,
    Comme toi, je suis totalement en faveur des énergies vertes ou mieux encore, des mesures réduisant notre consommation d'énergie, comme la simplicité volontaire. Je suis juste en désaccord avec les gens qui brandissent l'épouvantail climatique afin de justifier le développement de ces énergies, car en criant encore une fois au loup devant des scénarios fort douteux, ces gens risquent de discréditer la science climatique et la science en général.
  4. Publié le 1 avril 2014 | Par André Desrochers

    @ Charles,
    Merci de votre commentaire. À propos du public, en fait il n'y a pas de consensus sur les causes des changements climatiques globalement (http://en.wikipedia.org/wiki/Public_opinion_on_climate_change). Et pour les statistiques, vous avez tout à fait raison, et j'allais d'ailleurs dans le même sens le 12 novembre dernier dans mon billet intitulé «Science, apparence et substance». Au plaisir!
  5. Publié le 1 avril 2014 | Par Charles

    Article très intéressant!
    Je partage aussi ce doute qui survient en réalité assez rapidement dès qu'on commence à s'intéresser au sujet de près.
    D'ailleurs, le terme «consensus scientifique» dans votre introduction m'a surpris, puisque, effectivement, comme on le lit à la fin de votre article, on trouve de nombreux scientifiques qui émettent des doutes sur cette théorie. À mon sens, le consensus est surtout public.

    Enfin, je souhaiterais ajouter qu'il faut avoir un œil très critique sur les études statistiques démontrant telle ou telle conclusion, beaucoup sont erronées:
    http://simplystatistics.org/2013/12/16/a-summary-of-the-evidence-that-most-published-research-is-false/
  6. Publié le 1 avril 2014 | Par Natacha

    André,
    Qu’est-ce que ça changerait dans le fond que les émissions de CO2 émises par l’activité humaine n’aient rien à voir avec les changements climatiques? On pourrait en profiter pour continuer à utiliser les énergies fossiles en se disant que de toute façon ce n’est pas la faute de l’humain s’il y a des changements climatiques? Peu importe à qui est la faute, voilà une belle occasion à saisir pour développer des technologies plus vertes et moins polluantes. De toute façon, changements climatiques ou non, le pétrole et le charbon sont des ressources non renouvelables et il faudra passer à autre chose un jour ou l’autre. Si l’autoflagellation, comme tu dis, fait en sorte qu’il y ait une volonté politique et économique pour que l’homme développe une économie plus verte, moi je dis tant mieux.