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L’éducation financière contre les maux de l’économie

Qui n’a pas entendu parler d’éducation financière récemment? Depuis quelque temps, l’idée de doter les citoyens et les investisseurs de meilleures connaissances  en ce qui concerne les marchés financiers et leurs produits a pris une grande place dans l’actualité.

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L’éducation financière apparaît comme une réponse à la crise financière de 2007-2008 et comme une réaction à la place grandissante que tiennent les produits financiers de source privée dans le portefeuille de tout un chacun1. Dans le cadre d’une stratégie centrale de protection des investisseurs2, de nombreux pays mettent en place des programmes de promotion de l’éducation financière3, incités qu’ils sont par des forums politiques comme celui du G20 et par des organisations internationales telles que l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) ou l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Le Canada et le Québec n’échappent pas à ce phénomène, comme l’illustre la Stratégie nationale pour la littératie financière – Compte sur moi, lancée le 9 juin 20154. Cette initiative a été mise en branle dès 2009 par la création du Groupe de travail sur la littératie financière. Celui-ci avait produit, en décembre 2010, un rapport5 en faveur de l’augmentation des connaissances personnelles en finances. Puis, en juin 20146, il avait déposé la Stratégie pour la littératie financière des aînés.

S’ajoutent à ce mouvement de multiples initiatives prises par des institutions financières ou des autorités paragouvernementales telles que l’Autorité des marchés financiers (AMF) au Québec, sans compter les projets mis de l’avant par divers acteurs indépendants du secteur financier ou du gouvernement.

Pourtant, une question demeure: l’éducation financière mérite-t-elle autant d’attention? Est-elle la solution aux maux de la finance? Assure-t-elle une bonne protection des investisseurs?

Vous avez dit éducation financière?
La définition de l’éducation financière est vaste. On lui attribue des notions aussi variées que:

  • forme spécifique de connaissance;
  • capacité ou compétence à utiliser cette connaissance;
  • connaissance perçue;
  • bon comportement financier;
  • habilité à échanger sur des concepts financiers;
  • aptitude à gérer ses finances personnelles;
  • capacité de faire des calculs;
  • compréhension que les investisseurs ordinaires ont des principes de fonctionnement du marché, de ses instruments, de son organisation et de sa régulation;
  • confiance dans une planification efficace susceptible de répondre aux besoins futurs, etc.

À cette définition très vaste s’ajoute la quantité de mots qui servent à nommer le concept: éducation au sens large, éducation financière, littératie financière, protection des consommateurs, et j’en passe! Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que les notions qui sous-tendent le phénomène, et donc ses objectifs –parmi lesquels doter les individus d’une capacité à naviguer dans le domaine complexe des produits financiers, accéder à une compréhension de base des services financiers et acquérir une capacité à diriger une entreprise– empruntent de nombreuses directions.

Pourtant, comme en avait statué l’OCDE en 2005, l’éducation financière peut se résumer simplement. Ainsi, elle concerne le processus par lequel des consommateurs ou des investisseurs:

  1. améliorent leur connaissance des produits, des concepts et des risques financiers;
  2. acquièrent, au moyen d’une information, d’un enseignement ou d’un conseil objectif, les compétences et la confiance nécessaires pour:
  • devenir plus sensibles aux risques et aux possibilités en matière financière;
  • faire des choix raisonnés, en toute connaissance de cause;
  • savoir où trouver une assistance financière;
  • prendre d’autres initiatives efficaces pour améliorer leur bien-être financier7.

En d’autres mots, le leitmotiv de l’éducation financière est d’offrir à monsieur et à madame Tout-le-monde une information financière accessible et compréhensible pour leur permettre de mieux naviguer dans le domaine.

L’éducation financière des citoyens est d’autant plus importante que son absence peut avoir des conséquences négatives sur l’ensemble de l’économie. Une étude menée pour le compte de la Commission européenne et publiée en 2007 a d’ailleurs décrit les risques inhérents à l’absence d’éducation financière des citoyens8.

Les principales initiatives canadiennes et québécoises
Comme je le disais, le Québec et le Canada ont joint le mouvement vers la mise en valeur de l’éducation financière. Des initiatives, il y en a assurément aux échelons aussi bien fédéraux que provinciaux.

Dès 2001, le Canada s’est doté de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC), placée sous la tutelle du ministre des Finances. Ayant pour mission de protéger et d’éduquer les consommateurs de services financiers, cette agence a mis en place divers programmes pour améliorer la disponibilité, la clarté et l’accessibilité de l’information financière.

L’ACFC a notamment géré les travaux réalisés par le Groupe de travail sur la littératie financière mentionné un peu plus haut. Ce groupe s’était déplacé aux quatre coins du pays pour rencontrer de nombreux intervenants, écouter ce qu’ils avaient à dire sur la littératie financière et tirer des leçons de leur expérience. Ces consultations ont fourni des avis et des recommandations sur ce qui devait devenir la future stratégie nationale visant à consolider la littératie financière des Canadiens.

Cela dit, 2 ans avant la formation de ce groupe de travail, le gouvernement du Canada, reconnaissant la nécessité d’améliorer les connaissances financières et la prise de décision des consommateurs, avait élargit le mandat de l’ACFC pour y inclure officiellement la prise en charge de la littératie financière. Depuis, l’ACFC agit sur plusieurs plans: elle dirige et coordonne la Stratégie nationale pour la littératie financière, la tenue de conférences annuelles, la création de programmes éducatifs et la mise en place d’événements promotionnels comme le Mois de la littératie financière9.

Du côté provincial, l’AMF a récemment adopté la Stratégie québécoise en éducation financière. Son plan d’action 2015-2018 s’inspire des recommandations des membres du Comité consultatif en éducation financière et du Réseau québécois de l’éducation financière. Les visées qu’il cible comme étant prioritaires pour l’exercice 2015-2018 sont basées sur 2 volets: la concertation et la santé financière.

L’éducation financière et ses zones d’ombre
Responsabiliser davantage les investisseurs et les consommateurs en matière de finance leur est assurément utile pour mieux comprendre l’environnement dans lequel ils évoluent. Ce n’est pas le niveau d’endettement des ménages québécois qui contredira cette affirmation! De plus, le vieillissement de la population et la privatisation grandissante des régimes de retraite rappellent l’importance d’avoir une meilleure connaissance du marché et de ses produits. Selon Statistique Canada, 38,4% de la population canadienne participait à un régime de pension agréé en 2011, ce qui constitue une légère baisse comparativement à l’année précédente (38,8%). Ainsi, de nombreuses personnes aînées comptent sur un revenu de retraite provenant d’une source privée, lequel représente 42% de leur revenu total de retraite10.

Cela dit, si louable soit-il, ce consensus en faveur de l’éducation financière ne doit pas occulter ses aspects critiquables. D’une part, les études peinent à démontrer un lien de cause à effet entre augmentation de l’éducation financière, meilleures décisions et amélioration des résultats financiers. C’est notamment le constat de la professeure Lauren E. Willis de la Loyola Law School de Los Angeles11.

D’autre part, la logique sur laquelle s’appuie l’éducation financière suppose que les individus mieux informés et mieux outillés pour prendre des décisions financières feraient des choix rationnels et, au final, des choix susceptibles de contribuer à leur bien-être. Toutefois, ce raisonnement se heurte à des obstacles mis en lumière par la théorie économique comportementale. Soulignons-en 2 éléments majeurs:

  • le manque de rationalité des individus;
  • l’existence d’un ensemble de biais et d’erreurs que l’éducation financière ne peut corriger. Par exemple, les émotions ou les illusions cognitives qui lient les individus à leur argent, les besoins ou les élans viscéraux (faim, peur, etc.) qui empêchent le raisonnement, l’incapacité de se projeter suffisamment dans l’avenir, la priorité donnée à la décision qui apportera le moins d’inconfort émotionnel et plus encore.

Également, l’évolution rapide des marchés et des produits financiers rend très vite obsolètes et incomplètes bon nombre d’informations fournies dans le cadre d’initiatives d’éducation financière. Sans compter que le contenu de ces initiatives est loin d’être uniforme.

Enfin, l’éducation financière ne saurait se substituer à la régulation et à un encadrement plus strict du secteur de la finance et des services financiers. Dans sa stratégie 2015-2018, l’AMF écrit que l’éducation financière «n’est pas la solution miracle aux carences économiques observées dans la société québécoise». Cette dernière peut compléter, mais ne pourra jamais remplacer d’autres aspects d’une politique financière efficace tels que l’encadrement des produits financiers, la valorisation de conseils et d’avis de professionnels, la responsabilisation des prêteurs, etc. N’oublions pas que la déréglementation du secteur financier (dont sont tenants les États-Unis) a aggravé les conséquences attachées aux faiblesses des compétences financières des investisseurs12.

Un équilibre à trouver
En conclusion, l’éducation financière (et toute la souplesse normative qu’elle suppose) est-elle «la» solution pour encadrer la finance? Une réglementation contraignante de nature plus traditionnelle doit-elle céder le pas à un encadrement de type soft law? La réponse est complexe, mais peut se résumer comme suit: l’éducation financière est une solution, mais pas «la» solution. En dotant les citoyens d’une compréhension plus grande du fonctionnement des marchés et des produits commercialisés et en augmentant leurs connaissances, l’éducation financière contribue sans aucun doute à ce que leurs prises de décisions financières soient plus responsables.

Toutefois, le renforcement de l’autonomie individuelle peut s’avérer un choix critiquable pour certaines catégories d’investisseurs, les jeunes et les aînés, par exemple. Cette stratégie pose aussi le problème suivant: les États, les autorités gouvernementales et paragouvernementales ainsi que certains acteurs du marché (tels que les institutions financières) pourraient être tentés de transférer une partie de leurs responsabilités à des individus qui ne le désirent pas vraiment ou qui ne possèdent simplement pas les outils pour les rencontrer.

Tout est donc une question d’équilibre quand il s’agit de gérer les risques d’une économie et d’une finance en constante mutation et si créatives! Cette nécessité, l’État et les régulateurs de marché ne doivent pas l’oublier.

1 Bilal Zia et Lisa Xu, «Financial Literacy Around the World: An Overview of the Evidence with Practical Suggestions for the Way Forward» (2012) World Bank Policy Research, Document de travail No 6107.

2 IOSCO, Strategic Framework for Investor Education and Financial Literacy (octobre 2014), p. 4.

3 Annamaria Lusardi et Olivia S. Mitchell, «Financial Literacy Around the World: an Overview» (octobre 2011) 10:4 Journal of Pension Economics and Finance 497.

4 ACFC, Stratégie nationale pour la littératie financière – Compte sur moi, Canada, 2015.

5 Task Force on Financial Literacy, Canadians and Their Money: Building a Brighter Financial Future―Report of Recommendations on Financial Literacy (décembre 2010).

6 ACFC, Renforcer la littératie financière des aînés (juin 2014).

7 OCDE, Recommendation on Principles and Good Practices for Financial Education and Awareness (2005).

8 Evers & Jung Financial Services Research and Consulting―Marco Habschick, Britta Seidl, Dr. Jan Evers (dir.), Survey of the Financial Literacy Schemes in the EU27, (novembre 2007), VT Markt/2006/26H – Final Report, Hambourg, p. 7.

9 À cela, il faudrait ajouter la Base de données canadienne sur la littératie financière et le questionnaire d’autoévaluation mis à jour lors de la 4e édition du Mois de la littératie financière, qui sont également disponibles sur le site de l’ACFC et qui mettent à la disposition des Canadiens plus d’outils et de ressources.

10 OCDE, Panorama des pensions 2013 Les indicateurs de l’OCDE et du G20 (26 novembre), p. 2.

11 Lauren E. Willis, «Against Financial Literacy Education» (2008) 94:1 Iowa L. Rev. 197, p. 225.

12 Lewis Mandell et Linda Schmid Klein, «The Impact of Financial Literacy Education on Subsequent Financial Behavior» (2009) 20:1 J Financial Counseling and Planning, p. 16.

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