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Photo de Ivan Tchotourian

Rémunération des PDG: l’orage gronde

La saison des assemblées annuelles des grandes entreprises cotées en bourse bat son plein. Parmi les sujets qui font polémique et suscitent le débat: la rémunération des dirigeants. Attention, je ne parle pas ici de la rémunération des administrateurs, mais bien de celle des hauts directeurs qui sont aussi parfois présidents du conseil d’administration (CA), les fameux PDG (ou CEO en anglais). Au regard des enjeux en cause, le droit devrait-il intervenir?

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Des montants hors de contrôle
Il faut reconnaître qu’une partie de ces hauts dirigeants touchent une rémunération astronomique. Cette observation ne serait pas aussi gênante si la plus-value de ces rémunérations en termes de performance était démontrée1 et si le décalage avec la rémunération des autres parties prenantes (pensons aux salariés) n’était pas devenu abyssal2.

Une étude3 du Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC) analysant l’évolution de la rémunération des plus hauts dirigeants des 7 banques canadiennes entre 1999 et 2009 en relation avec la rémunération moyenne des employés (Ratio d’équité) donne les chiffres suivants:

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Plus récemment, un article de La Presse4 relatait que la rémunération moyenne des chefs d’entreprises canadiens les mieux payés a augmenté 2 fois plus entre 2008 et 2013 que celle du travailleur moyen. «Les 100 présidents-directeurs généraux (PDG) les mieux rémunérés du Canada ont empoché en moyenne 9,2 millions $ en 2013, soit environ 25 pour cent de plus que ce qu’ils avaient gagné en 2008 (…). En comparaison, le revenu moyen des Canadiens a augmenté de 12 pour cent de 2008 à 2013, pour se fixer à 47 358 $».

Aux États-Unis, la situation est identique: « [the] average total remuneration for CEOs in S&P 500 firms (…) increased from about $850,000 in 1970 to over $14 million in 2000, falling to $9.4 million in 2009 »5.

Le mécontentement des actionnaires
La dernière période des assemblées annuelles a donné lieu à une révolte des actionnaires de part et d’autre de l’Atlantique. Cette année, les rémunérations de la haute direction chez Industrielle Alliance, Banque nationale et SNC-Lavalin ont été âprement débattues. L’an dernier, 3 grandes entreprises canadiennes n’ont pas réussi à faire approuver leur politique de rémunération: Barrick Gold Corporation, Yamana Gold Inc. et la Banque canadienne impériale de commerce.

De même, en France, les rémunérations des PDG de Renault, PSA et Lafarge ont fait la manchette au cours des derniers mois. Et en Allemagne, Volkswagen est fortement critiquée par ses actionnaires pour la rémunération qu’elle a octroyée à son ancien PDG et a dû modifier ses pratiques de rémunération du CA. Et ce, après discussion et hésitation: quand on connaît les graves reproches faits à ce fleuron allemand, qui l’eût cru?

Bien que cette révolte des actionnaires se soit déjà fait ressentir par le passé, elle a gagné en intensité et en notoriété. Ce qui était vu auparavant comme une intolérable ingérence dans les pouvoirs du CA est de plus en plus considéré comme un devoir. Les temps changent et les CA (tout comme les hauts dirigeants) devraient mesurer ce changement. Gare à eux: la complaisance des actionnaires s’effrite6!

Un droit trop timide?
Le droit donne mission au CA de déterminer la rémunération. Il en va ainsi au Canada et au Québec, mais aussi ailleurs. Les débats actuels entourant la fixation de la rémunération ont fait évoluer le droit. Ce dernier oscille jusqu’à présent entre 2 positions:

  1. S’en remettre au marché et aux actionnaires en favorisant une grande transparence de la rémunération (montant, politique…), ainsi que renforcer le rôle des CA. Cette position est celle du Canada, mais aussi des États-Unis.
  2. Intervenir de manière plus contraignante en encadrant strictement certaines formes de rémunération telles que les stock-options, en en conditionnant d’autres à des objectifs de performance… Cette position est celle de la France, par exemple.

L’interdiction pure et simple d’une rémunération ou la fixation d’un plafond ont rarement été à l’ordre du jour des législateurs. Dans son ensemble, le droit s’est finalement révélé «mou» (les actions judiciaires sont demeurées rares), hésitant à réagir dans un domaine qu’il connaissait peu et pour lequel il n’avait pas l’expertise. Il s’en est remis à des codes de gouvernance, à des bonnes pratiques et à des préconisations parfois contradictoires et soulevant un problème d’effectivité.

Récemment, dans plusieurs pays dont le Canada, des lois ont responsabilisé davantage les actionnaires en leur donnant un droit de vote, mais toujours avec prudence: un droit de vote non décisionnel (le «say on pay»).

Le droit doit-il aller plus loin aujourd’hui et se «durcir»? Cette solution est séduisante, mais complexe:

  1. Quelle forme pour une telle intervention? Loi ou préconisation?
  2. Une intervention de quelle nature? Interdiction, plafonnement, encadrement…?
  3. Quels acteurs responsabiliser? CA (en ont-ils les moyens?), actionnaires (quel sera leur objectif ultime?), conseillers en rémunération (à quel titre?), parties prenantes (qui?)…?
  4. Pour quel résultat? Sur ce dernier point, rappelons qu’au lendemain de la crise de 2007-2008, il a été décidé d’encadrer plus strictement la part variable de la rémunération des acteurs de la finance, ce qui a eu pour conséquence d’entraîner… une augmentation de la part fixe de la rémunération, tout cela afin de maintenir un haut niveau de rémunération.

Cette complexité ne doit cependant pas conduire à évacuer la question de l’intervention d’un droit plus dur. La hausse constante des rémunérations et les sommets atteints doivent faire réfléchir tout un chacun. Israël a d’ailleurs franchi le pas récemment, rapporte le MÉDAC: le Parlement israélien vient d’adopter une loi qui limite les salaires de hauts dirigeants d’une banque à un maximum de 35 fois le salaire de l’employé le moins bien payé de leur banque sans jamais dépasser les 862 000 $CAN par année. Plus tôt, en France, un décret de 2012 a plafonné la rémunération annuelle des dirigeants d’entreprises publiques à 450 000 € (environ 650 000 $CAN).

La RSE en soutien
La responsabilité sociale des entreprises (RSE) pourrait être un outil pertinent à utiliser dans ce cadre. Alors que le montant des rémunérations trahit une vision à court terme s’arcboutant sur le dogme de la valeur boursière et financière (dangereuse pour les entreprises et pour l’économie), la RSE réintroduit tout simplement du long terme.

Des propositions émanant des Nations Unies («Integrating ESG issues into executive pay», publié en 2012), des autorités boursières («Recommandation n° 2010-13» de l’AMF France, publié en 2010) ou d’associations professionnelles («Board: Linking Executive Compensation to Sustainability Performance», publié par The Conference Board en 2012) ont été faites pour lier rémunération des hauts dirigeants et RSE. Cette pratique est encore peu développée et relève de démarches isolées, mais elle existe! En décembre 2015, une étude de l’agence extra-financière Vigeo7 a observé que 14% des 2129 entreprises mondiales étudiées intégraient la RSE dans les politiques de rémunération. Or, le Canada était un des pays (avec l’Australie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni) les plus proactifs. Les bases sont donc là.

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La mise en œuvre de cette démarche d’intégration est sans aucun doute difficile, mais plus tôt elle sera adoptée, plus tôt les résultats se feront ressentir.

Si le droit a ses limites en matière de rémunération, il ne doit pas conserver un silence coupable, comme il a tendance à le faire aujourd’hui. Pour être efficace, il ne doit néanmoins pas intervenir seul: la RSE doit l’appuyer. Mais n’oublions pas que les mentalités et les comportements éthiques des hauts dirigeants (ainsi que des CA, des conseillers en rémunération, des actionnaires et de leurs conseillers en vote…) sont également (et surtout) à ne pas négliger. La pax economica est à ce prix!

1 IRRCi, «The Alignment Gap between Creating Value, Performance Measurement, and Long-Term Incentive Design», décembre 2014.

2 Selon des statistiques récentes de Glassdoor Economic Research, un patron américain gagne en moyenne 200 fois plus que ses salariés. Et dans certaines entreprises, le ratio dépasse 1 pour 1000.

3 Louise Champoux-Paillé, «Rémunérer la direction ratio d’équité interne et vote consultatif sur la politique de rémunération», MÉDAC, mai 2010.

4 Andy Blatchford, « La rémunération des grands patrons canadiens s’emballe », La Presse.ca, 1er janvier 2015. Source de ses données: Canada’s CEO Elite 100

5 M.C. Jensen, K.J. Murphy et E.G. Wruck, «Remuneration: Where We’ve Been, How We Got to Here, What are the Problems, and How to Fix Them», ECGI – Finance Working Paper No. 44/2004, 12 juillet 2004.

6 Katy Pitch, «Le vote sur la rémunération de la haute direction (say-on-pay) défraie encore la chronique cette année», cabinet Stikeman Elliott, 25 mai 2015.

7 Vigeo, «Executive remuneration: Does social responsibility really matter?», décembre 2015.

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  1. Publié le 22 mai 2016 | Par Ivan Tchotourian

    La remarque est juste, mais elle se heurte elle-même à des critiques. En effet, les PDG se rapprochent depuis quelques années du statut de stars. Le fait de ne pas pouvoir clairement identifier la plus-value de la rémunération et l'amélioration de la performance rendent difficilement compréhensible le montant des rémunérations octroyées. N'oublions pas aussi que le sentiment de cercle fermé et d'impunité interpelle profondément... Mon propos n'est pas nécessairement de dire que tous les PDG sont trop payés, mais de mettre en lumière que le montant astronomique ne doit pas être nécessairement la règle. D'autant que si elle le devient, elle peut conduire à du court-termisme dangereux (comme la crise de 2007-2008 l'a démontré).
  2. Publié le 20 mai 2016 | Par clement bernard

    Comparez les salaires et les responsabilités des sportifs à ceux des PDG... Vous verrez qui est trop payé!

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